14-02-2011

Luc Gagnon est psychoéducateur à l'Institut Douglas. En 2003, il apprend que son père est atteint de la maladie d'Alzheimer. Il décide alors de consigner dans un journal quelques moments –précieux– partagés avec son père encore lucide. Deux ans plus tard, Luc Gagnon rassemble ces récits sous la bannière «Papa, maman, la bonne et moi», un recueil de textes empreints d’humour et de tendresse. La série est diffusée dans le cadre de la semaine de sensibilisation à la maladie d'Alzheimer et se poursuit pendant les prochaines semaines.

Septembre 2004 -
Michèle m’a conté qu’elle était chez papa et maman l’autre jour et alors qu’elle aidait papa à se rendre à son lit, ce qui est devenu littéralement un long voyage tellement ses articulations sont figées, papa lui a récité une de ces phrases profondes qu’on lui connaît de temps à autre. «À l’approche de la mort, les plus faibles font les plus grands efforts.» C’est incroyable ce qu’il peut nous sortir des fois, qu’on se disait Michèle et moi. Une référence biblique, peut-être?

Je décide de soumettre la phrase à l’internet. Rien. J’en parle au travail, espérant que ça réveille quelque chose chez l’un ou l’autre de mes collègues. Rien. Je lance même la phrase dans le vestiaire, avec ma gagne de hockey, en les mettant quand même un peu dans le contexte parce qu’à froid comme cela, c’est habituellement pas le genre de phrase qui se dit spontanément dans un vestiaire de hockey. Un peu déprimant comme cri de ralliement avant la partie. Toujours rien, personne ne connaît. Puis je finis par l’oublier.

Quelques semaines plus tard, je suis avec papa à l’extérieur de chez lui. Nous attendons Bernard qui est en haut avec maman à préparer le linge de papa pour l’hôpital, où on doit le mener sur ordre du médecin qu’on a vu ce matin. Tout à coup la phrase me revient et je décide de la soumettre à papa, espérant qu’il se souvienne de son origine. «La bible peut-être?» que je lui souffle. Il dit non et je le vois chercher. Après quelques longues secondes, l’air très sérieux, profond presque, ce qui me donne espoir, il me dit : «Je pense que j’avais vu cela sur un mur de toilette.» Merveilleux. Je pensais bible, me voici devant un mur de toilette. Peut-être que le début n’était pas «À l’approche de la mort.» Sûrement y avait-il un lien avec les toilettes, ou avec ce qu’on fait quand on y est. Quoiqu’il en soit, papa a tout compris du lien entre la bible et les toilettes et rit d’un beau rire franc.

Le téléphone

Septembre 2004 - Papa est à l’urgence depuis deux jours, on est le matin. En fait il est au «Débordement de l’urgence» où les lits sont très serrés les uns contre les autres avec de simples rideaux bleus tout minces qui contournent exactement le lit, lorsqu’on désire un tant soit peu d’intimité. J’arrive avec maman. Le voisin de papa, un homme d’à peu près mon âge, sourit en nous voyant arriver. Un drôle de sourire, presque moqueur. Il regarde maman et lui dit : «Ça serait pas vous, Rolande?» Là maman ça lui prend plus d’une fois parce qu’elle n’entend rien. Finalement elle clique et répond…«Oui…?» avec un point d’interrogation ajouté que nous, on entend très bien. Le monsieur alors nous explique que papa a dit son nom toute la nuit.

Quelle tristesse, que je pense tout de suite, papa doit s’ennuyer terriblement. Puis notre homme continue d’expliquer en disant qu’à chaque fois qu’il entendait un «bip bip» d’une machine quelconque ou qu’un téléphone sonnait plus loin, et Dieu sait qu’il y en a de tels bruits dans un débordement d’urgence, papa disait très fort, criait presque comme si elle était dans la cuisine et lui dans la chambre : «Rolande, téléphone!» pour qu’elle aille répondre. Superbe. Dur pour les voisins de lit, mais superbe. Je comprenais alors tout à fait le sourire moqueur de tantôt.

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