29-07-2009


Dehors, le temps est froid et maussade. Mais à l'intérieur, l'air est chaud et humide, saturé de parfums organiques. Sous nos yeux, les verts – du tendre au vif – se déclinent joyeusement. C'est un endroit magique, à la fois calme et vivifiant. Bienvenue aux Serres.

À l'occasion du 25e anniversaire des Serres, nous avons rencontré Marielle Contant et Jacques St-Hilaire, horticulteurs au Douglas depuis respectivement 19 et 12 ans.

Q: Parlez-nous des Serres du Douglas.
MC : La première serre a été construite en 1924, et la deuxième s'y est greffée en 1961. À l'époque, et ce jusqu'en 1984, la serre et les terrains formaient un seul service. Quelques patients y étaient rattachés, travaillant surtout sur la production de fleurs. En 1984, la direction du Douglas a vu une opportunité extraordinaire d'utiliser le médium de l'horticulture à des fins de réadaptation.

Q: Est-ce cela qu'on appelle l'hortithérapie?
JSH : Oui. La grande variété d'activités horticoles dans notre programme nous permet de travailler le côté physique, social, intellectuel et émotionnel des patients. Aujourd'hui, le volet hortithérapie est offert par le SPECTRUM (Service de réadaptation psychosociale et de soutien communautaire). L'un des rôles du SPECTRUM est de soutenir le rétablissement des personnes en les aidant à vivre une vie normale et significative dans la communauté, guidée par leurs choix personnels.
MC : Un des aspects intéressants de l'hortithérapie est qu'elle suit le rythme des saisons, de la vie qui se transforme, et du temps qui passe : le temps des semis, des lilas, des récoltes… Les activités horticoles suscitent beaucoup de curiosité, d'observations et sollicitent tous les sens (odorat, goût, toucher, etc.)




Q
: Qui compose votre clientèle?

MC : Nous comptons une trentaine d'usagers qui présentent des problèmes psychiatriques graves
et persistants. Ils viennent aux Serres de une à plusieurs fois par semaine. La clientèle est d'abord référée par l'équipe traitante à l'équipe de triage du SPECTRUM, puis chez nous. Les tâches sont réparties selon les capacités mentales et physiques des usagers. Cela inclut les semis, le repiquage de plants (c'est-à-dire transplanter les semis dans des pots), le rempotage, l'arrosage, le jardinage extérieur, la préparation des ventes, etc. Nous accueillons également des groupes qui proviennent des unités de soins des programmes de pédopsychiatrie et des troubles de l'alimentation, ainsi que du Centre d'apprentissage Phoenix qui offre des activités thérapeutiques de jour aux personnes qui souffrent de problèmes psychiatriques accompagnés de déficience intellectuelle. Les usagers viennent aux Serres pour se divertir, se détendre, et pour s'initier à l'horticulture…

JSH : … et à la cuisine! Nous avons un grand potager à l'arrière, et nous préparons occasionnellement des soupes, du pesto, etc. Nous organisons également des ateliers sur l'utilisation des fines herbes, des plantes médicinales, des plantes indigènes et des fleurs comestibles. Les usagers du programme de gérontopsychiatrie viennent aussi faire un tour pour s'asseoir autour d'une table, et manger des tomates et des concombres fraîchement cueillis.

Q: Parmi vos anciens usagers, y en a-t-il qui continuent de pratiquer l'horticulture?
JSH : Oui, et nous en sommes très heureux. Il faut dire que le SPECTRUM nous réfère des gens qui ont choisi l'atelier des Serres parce qu'ils ont déjà un intérêt pour l'horticulture. L'un de nos anciens usagers, qui a d'abord assisté à notre programme régulier puis participé aux mesures de réinsertion sociale « Interagir », fait de l'entretien de terrains pour un paysagiste depuis maintenant cinq ans. Quatre autres belles réussites au féminin : la première a terminé un cours en fleuristerie; la deuxième travaille pour une entreprise d'entretien de plantes dans des bureaux; la troisième a suivi un cours d'horticulture par correspondance et vient de commencer un emploi d'aide-jardinière; et la quatrième est col bleu affectée à l'entretien des parcs de la ville… La persévérance, les progrès et le succès de nos anciens usagers sont une source d'inspiration et de motivation pour la clientèle. Leur réussite devient « contagieuse ». Pour nous, c'est très valorisant de faire partie de l'équation du rétablissement des usagers.




Q: Comment voyez-vous les Serres dans 25 ans?
JSH : Pffff. Je serai à la retraite! Blague à part, nous serons appelés à travailler encore plus étroitement avec certains organismes communautaires, afin d'aider les usagers à passer de la 2e à la 1re ligne.
MC : Nous sommes privilégiés d'avoir des serres sur le terrain. Des serres sur l'île de Montréal, ça se comptent sur les doigts d'une main : au Jardin botanique, à la ville de Westmount… et au Douglas! On espère que les Serres seront toujours là dans 25 ans. L'environnement est unique en son genre, car il offre de la lumière, de la tranquillité, du calme. Les bienfaits de l'hortithérapie sont reconnus depuis plus de 100 ans. La dynamique entre les individus est touchante. Les gens s'entraident, s'encouragent et se respectent. Il n'y a ni discrimination, ni tabou. Cette absence de jugement permet aux gens de se sentir en confiance.

Q: Il y a un arbre gigantesque au fond de la serre, qui touche presque au plafond. Qu'est-ce que c'est?
JSH : En fait, ce n'est pas un arbre, mais une plante herbacée. Il s'agit d'un bananier qui a plus de cinquante ans. Chaque année, il produit un régime d'une centaine de bananes. L'environnement est propice pour notre bananier. Les serres actuelles en polycarbonate, assemblées en 2004 par les employés de l'entretien, sont beaucoup plus chaudes et humides que la serre précédente, qui était en verre. L'ancienne serre coûtait une fortune à chauffer. Grâce à l'économie de chauffage, les serres actuelles ont été payées en cinq ans seulement. C'est un bon geste pour l'environnement, en plus d'être un achat local (les serres Harnois de Joliette).

Un chat gris se faufile discrètement derrière nous…

JSH : C'est Grésille. Elle habite ici avec Théo, un autre chat. Ils travaillent fort pour garder les mulots à l'écart… Sans nos deux chats, les Serres seraient vides!

Q: À part vous et les minous, y a-t-il d'autres personnes qui travaillent aux Serres?
MC : Nous pouvons compter sur Jessica, une bénévole qui travaille un après-midi et un avant-midi par semaine. Nous accueillons également des stagiaires des différentes écoles d'horticulture, dont le Jardin botanique. D'ailleurs, c'est une ancienne stagiaire, Fanny Debonnet, qui fait l'entretien des terrains du Douglas du mois de mai jusqu'en octobre.

Q: Le mot de la fin?
MC : Jacques et moi aimons penser que – modestement, mais avec persévérance – nous participons à la reconstruction d'une image positive de la maladie mentale et de ceux qui en sont atteints. Les amateurs d'horticulture savent que les journées sont bien remplies au printemps.

Nancy Schmidt