02-03-2011

Luc Gagnon est psychoéducateur à l'Institut Douglas. En 2003, il apprend que son père est atteint de la maladie d'Alzheimer. Il décide alors de consigner dans un journal quelques moments –précieux– partagés avec son père encore lucide. Deux ans plus tard, Luc Gagnon rassemble ces récits sous la bannière «Papa, maman, la bonne et moi», un recueil de textes empreints d’humour et de tendresse. La série est diffusée dans le cadre de la semaine de sensibilisation à la maladie d'Alzheimer.


Novembre 2004 - Mon père est placé depuis quelques jours dans un foyer privé que j’ai choisi avec le sentiment de prendre une des décisions les plus importantes de ma vie. À l’hôpital, on l’avait complètement remis sur pied. Il n’était plus parmi «les plus faibles, à faire les plus grands efforts devant la mort», comme il l’a déjà dit de façon un peu théâtrale au plus fort d’une crise d’arthrite généralisée. Il est placé, mais pas parce qu’il est malade, car même son Alzheimer est stable. Il est placé parce que maman n’en peut plus. Le visiter ça ira, mais vivre avec lui, elle ne peut plus. La dernière année l’a tuée. Le fait que papa ne soit plus le même la tue chaque jour.

Ce soir-là, j’appelle à la résidence et je préviens que j’arrive malgré l’heure tardive, afin d’apporter une partie des médicaments qui manquent encore. Je me gare dans le petit stationnement devant la maison, et alors que j’assemble les médicaments et les dossiers à côté de moi, j’ai soudainement le sentiment d’être épié. Levant la tête, je vois, directement devant moi, cinq ou six personnes agglutinées à la même fenêtre qui me regardent toutes, certaines avec le sourire, dont papa qui me salue de la main. Un ou deux autres me saluent aussi. Me viennent des images de Vol au-dessus d’un nid de coucou, avec le groupe de joyeux copains à l’hôpital psychiatrique.

Je ne sais quoi penser. Je suis encore en pleine évaluation de cet endroit, c’est tellement nouveau. Et inquiétant. Si c’est ainsi qu’ils réagissent quand vient un visiteur, il ne doit pas en venir souvent. J’entre . . . et tout s’explique. S’ils étaient agglutinés à la fenêtre, ce n’était pas pour moi, mais pour une éclipse de lune, magnifique. Rassuré quant aux visites, je le suis aussi parce que regarder en groupe une éclipse par la fenêtre, cela me montre que là aussi, la vie s’est frayée un chemin…