11-07-2008


Lors d'un séjour d'un an en Angleterre en 2008, Eric Latimer, Ph.D., a rédigé un blogue, un outil de réflexion et de partage sur l'efficience des services de santé mentale en Angleterre, au Canada et ailleurs dans le monde.


Touchant à la fin de mon séjour en Angleterre (retour au Canada dans un mois), il me semble important de donner quelques précisions sur les modalités de traitement pour les personnes qui ont des troubles concomitants de santé mentale et d'abus de substances.

La problématique de la double problématique

Il est bien connu que la prévalence de consommation problématique d'alcool et/ou de drogues est beaucoup plus élevée parmi les personnes qui ont des troubles mentaux graves que dans la population générale - de l'ordre du tiers à la moitié.  Plusieurs études ont documenté que les personnes qui présentent de tels troubles concomitants en subissent toutes sortes de conséquences négatives et coûtent beaucoup plus cher en services que celles qui ne consomment pas.  Malheureusement, les services traditionnels sont mal équipés pour s'occuper de ces personnes: ils tendent à traiter soit la maladie mentale, soit l'abus de substances, mais pas les deux à la fois.

Une politique bien développée...

La politique anglaise à cet égard est relativement bien développée.  L'intention est d'équiper les services de santé mentale pour que ceux-ci puissent traiter de façon efficace les personnes qui ont ces troubles concomitants ("mainstreaming").

...mais des résultats variables selon les régions

J 'ai rencontré au cours de la dernière semaine plusieurs "consultant nurses", qui jouent sur leur territoire le rôle de "clinical lead" pour les doubles diagnostics (dual diagnosis). Je les ai rencontrés mercredi au King's Fund, à Londres, lors d'une de leurs rencontres périodiques. (Ils ne connaissaient pas le concept de "communauté de pratique", mais c'est ce qu'ils ont constitué, comme les chefs d'équipe de suivi intensif/SIV au Québec.)  J'ai appris que dans la pratique, les progrès dans l'acquisition d'expertise en traitement des doubles diagnostics sont très variables d'une région à l'autre.  La perception de certains tout au moins est que dans les régions où un "clinical lead" (une personne responsable de ce dossier pour la région) est désigné, les progrès sont plus importants.

Cela dit, le fonctionnement des clinical leads varie d'une région à l'autre.  Dans certaines régions, dont celles de Nottingham et Manchester, une personne de chaque équipe ACT ou de case management est désignée pour être l'experte de ce volet au sein de l'équipe, et reçoit une journée de formation à tous les 3 mois environ, du "clinical lead", indéfiniment.  Les personnes ainsi formées transmettent leurs connaissances et expertise au reste de leur équipe.  Ainsi, au fil des années, malgré les retards qu'entraîne le roulement de personnel, l'ensemble des intervenants acquiert une expertise plus grande, et une plus grande confiance à intervenir auprès de personnes qui ont des problèmes particulièrement complexes.

Vision pour l'avenir

J'ai demandé au groupe quelle était leur vision pour l'avenir.  Ils ont articulé cinq souhaits:

  1. que leur expertise devienne tellement répandue que leur rôle devienne périmé
  2. que des "travailleurs pairs-aidants" jouent un rôle beaucoup plus grand
  3. que le stigma qui entoure ces personnes en particulier soit atténué
  4. que le travail avec les proches soit mieux développé
  5. que les utilisateurs de services jouent un rôle plus grand dans la formulation même des services.

Dirigisme vs décentralisation

On voit ici le résultat d'une gestion à la fois dirigiste et décentralisée du système de santé: dirigiste, en ce que le Department of Health, qui regarde attentivement les résultats d'études évaluatives, produit toutes sortes de directives auquel l'ensemble du système est tenu de se conformer; mais décentralisée aussi, car les Trusts ont une certaine latitude dans leur façon de s'organiser, et l'adoption des directives se fait plus ou moins complètement et plus au moins vite selon les endroits.

J'ajoute pour conclure que de façon générale (je déborde ici largement les doubles diagnostics et même la santé mentale), sous le gouvernement actuel, la tension entre dirigisme et décentralisation va dans le sens d'une plus grande décentralisation, tout en voulant garantir sur chaque territoire un ensemble minimum de services.  Cela requiert bien sûr donner à chaque territoire une marge de manoeuvre financière suffisante pour pouvoir garantir ce minimum, et développer d'autres services en plus, d'une façon propre à chaque territoire.

Commentaires

dupuch a dit :

Je suis française et ma fille de 3à ans bipolaire croit se "soigner" avec du cannabis plutôt que les médications psychiatriques ; Elle prétend qu'au québec cette méthode est admise et pratiquée ; Pouvez vous me répondre clairement sur ce point… car j'en doute.

Eric a répondu :

Je ne suis pas clinicien mais suffisamment au fait des pratiques au Québec pour pouvoir répondre à votre question sans équivoque. Vous avez entièrement raison de remettre en doute l'assertion de votre fille selon laquelle le cannabis serait une méthode admise et pratiquée pour traiter les troubles bipolaires. Le cannabis ne peut pas être utilisé légalement à cette fin, ou pour tout traitement de trouble psychique. De plus, on soupçonne de plus en plus que le cannabis, surtout à forte dose, peut contribuer à déclencher des épisodes psychotiques.

Je recommanderais fortement à votre fille de chercher chez un psychiatre un traitement pharmacologique reconnu pour sa condition.

Je me permets aussi de vous suggérer, si ce n'est déjà fait, de chercher de l'aide supplémentaire pour vous aider à interagir avec votre fille de la façon qui sera la plus bénéfique pour elle et pour vous.

Y aurait-il aussi chez vous des associations de parents et amis de personnes qui ont des troubles mentaux?

Avec me meilleurs souhaits.

dupuch a dit:

Je suis également convaincue que le cannabis peut contribuer au déclenchement de certains troubles. Devant les émotions et les stimulations chimiques denotre cerveau nous ne sommes pas tous égaux. Le cannabis est dangeureux. J'ai enfin trouvé une association de bon conseil et un psychiatre compétent et en qui ma fille a confiance. Le traitement est efficace mais le sevrage du cannabis n'est pas encore total; Elle prend environ 4 joint_ tabac + herbe. Depuis 10 jours elle prend aussi un médicament pour aider au sevrage. Cette expérience est très dure. Je suis à la retraite et j'ai enfin du temps à lui consacrer; Mais le coût de ce genre de troubles est énorme, pour les famille, leur équilibre affectif et financier! Je souhaite beaucoup de courage à tous patients et accompagnants et que cette expérience soit un approffondissement de leur amour et de leur tolérance.