31-01-2008

Chronique d’un fait annoncé : la hausse d’ordonnances des antidépresseurs


Il a été question récemment dans les médias de la hausse du nombre d’ordonnances d’antidépresseurs au cours de la dernière décennie. Depuis 2000, ce nombre a plus que doublé. Plusieurs professionnels de la santé, dont moi-même, à titre de chef du département de psychiatrie de l‘Institut Douglas, ont été sollicités pour commenter ces chiffres qui semblent surprenants, voire inquiétants.

Suis-je étonnée ?

Non. Comment l’être? Cela fait des années que les observateurs dans le domaine de la santé mentale tentent d’alerter les décideurs et les personnes influentes de notre société au fait que les troubles de santé mentale, en particulier la dépression et l’anxiété, causent de plus en plus de ravages dans les familles et dans les milieux de travail. Nous savons aujourd’hui qu’une personne sur cinq souffrira d’un problème de santé mentale au cours de sa vie et que 8% de la population canadienne souffrira de dépression au cours de sa vie . Nous prévoyons aujourd’hui qu’en 2020 la dépression sera la deuxième cause d’invalidité dans le monde . L’un des pires scénarios que je puisse imaginer serait d’avoir à accorder une entrevue en 2020 où l’on me demanderait : « Êtes-vous étonnée? » Il n’est pourtant pas nécessaire que ce mauvais rêve se réalise.

Suis-je inquiète?




Ce n’est pas le recours accru à un traitement sécuritaire ayant fait ses preuves auprès de nombreuses personnes en les aidant à reprendre le cours de leur vie quotidienne qui m’inquiète le plus. C’est plutôt le fait que les ressources et les budgets alloués à la santé mentale demeurent insuffisants qui me semble le plus alarmant. Les maladies mentales, bien qu’imposant un fardeau humain et social ainsi que des coûts économiques plus élevés que l’ensemble de certaines maladies physiques réunies, ne font pas l’objet de la même attention à l’égard des budgets de soins et de recherche. À titre d’exemple, la prévalence du cancer touche moins de 5% de la population alors que près de 25% des budgets de source fédérale sont consacrés à la recherche et aux soins. Les troubles de santé mentale, eux, touchent un peu plus de 10% de la population et reçoivent moins de 4% des budgets consacrés à la santé.

Il ne s’agit pas d’enlever à Pierre pour donner à Paul, mais plutôt de reconnaître qu’il est possible de faire mieux. Ce qui m’inquiète aussi est le manque d’accès à d’autres traitements dans le secteur public, tels que les psychothérapies qui peuvent être tout aussi efficaces pour la dépression légère et modérée et qui contribuent à prévenir les rechutes en cas de dépression sévère.

Suis-je alarmée ?

Bien des experts se sont penchés sur les raisons de cette situation. Il importe de se mobiliser afin d’endiguer les coûts humains, sociaux et économiques de la maladie mentale. Déjà, il y a dix ans, il était estimé que la maladie mentale constituait un fardeau de plus de 14 milliards de dollars en coûts directs et indirects à l’économie du pays. Si l’argument économique peut faire bouger plus rapidement les choses, qu’il en soit ainsi.

Mimi Israël, M.D., FRCPC, chef du département de psychiatrie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et directrice par intérim du département de psychiatrie de l'Université McGill.  Présidente de l’Assemblée des chefs de département de psychiatrie de Montréal.


1.Quelques faits au sujet de la maladie mentale et de la toxicomanie au Canada, Société pour les troubles de l’humeur du Canada, 2006
2.Mental Health Policies and Programmes in the Workplace, Organisation mondiale de la santé, 2005
3.De l’Ombre à la lumière : La transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada, Rapport Kirby, 2006.