Traitement ou réadaptation?

26-03-2008


Lors d'un séjour d'un an en Angleterre en 2008, Eric Latimer, Ph.D., a rédigé un blogue, un outil de réflexion et de partage sur l'efficience des services de santé mentale en Angleterre, au Canada et ailleurs dans le monde.


Lundi soir dernier, le Sainsbury Centre for Mental Health (dont j'ai parlé dans un billet précédent) accueillait, au "Royal Institute of British Architects" à Londres, le professeur Robert Drake, directeur du Dartmouth Psychiatric Research Center. Celui-ci a donné une conférence percutante sur l'état des connaissances sur et l'avenir du soutien à l'emploi de type "Individual Placement and Support". Cette conférence a été suivie d'un commentaire animé de Rachel Perkins, une professeure britannique qui abondait dans le même sens.

J'utilise le mot "percutante" parce que beaucoup des personnes à qui j'en ai parlé par après ont été fort inspirées et impressionées.  Au-delà de la synthèse des plus récentes études, son discours contenait beaucoup d'histoires de personnes qu'il a connues, qui ont des maladies mentales graves mais dont les vies ont été transformées par l'intégration au marché du travail, même si dans des bien des cas leur emploi n'est qu'à temps partiel.

Dans une rencontre en plus petit groupe le jour suivant, également organisée par le Sainsbury Centre for Mental Health, le professeur Drake faisait valoir que le soutien à l'emploi pouvait être considéré comme un traitement pour les maladies mentales graves - au même titre que les antipsychotiques mais, selon lui, plus efficace.

Il est vrai que toutes les personnes qui ont des troubles mentaux graves ne bénéficient pas de cette intervention. Selon lui - et ces nombres sont appuyés dans leurs grandes lignes par quelques études à long terme - environ 1/3 des personnes qui participent à ce genre de programme finissent par se trouver un emploi stable, un autre tiers travaillent de façon plus épisodique, et le tiers final ne parviennent jamais à travailler.

Mais pour ceux qui parviennent vraiment à réintégrer le marché du travail les bénéfices cliniques sont souvent très considérables - estime de soi accrue, vie beaucoup plus riche, et réduction marquée dans l'utilisation de services de santé mentale.

Ne peut-on alors considérer le soutien à l'emploi comme un traitement qui devrait être offert à toute personne qui a un trouble mental grave et qui désire travailler?

L'argument que ce traitement ne fonctionne pas pour tous ne tient certainement pas la route: on traite le cancer, même avec des médicaments ou des procédures coûteuses, même lorsque l'issue du traitement n'est guère assurée.

Il faudrait alors commencer à considérer le soutien à l'emploi régulier non pas comme une activité de réadaptation que les centres qui en ont les moyens peuvent offrir, mais comme un traitement essentiel qu'on ne peut omettre de la gamme de services offerts.

Commentaires

Jacques Gagnon a dit :

Bonjour Eric,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ton dernier billet. Dans la perspective du rétablissement de la personne, le soutien à l'emploi doit faire partie de la gamme des services offerts en santé mentale. Dans le questionnement soulevé par le professeur Drake i.e. «traitement ou réadaptation que cette intervention jugée essentielle?», je perçois l'intention de donner au soutien à l'emploi une valeur ajoutée en l'associant au traitement plutôt qu'à la réadaptation psychosociale. Il n'y a pas de doute qu'une certaine hiérarchie existe entre le traitement et la réadaptation dans la gamme des services. L'important, selon moi, c'est d'avoir des médecins psychiatres qui sont convaincus de l'importance et de la valeur de cette intervention auprès des personnes atteintes d'un trouble mental grave et qui s'assurent qu'elles y ont accès.

Au plaisir de lire le prochain billet!

Eric a répondu :

Jacques, tu as tout-à-fait raison de souligner la hiérarchie entre traitement et réadaptation dans la gamme de services. Par ailleurs, l'influence du médecin-psychiatre dans le parcours des personnes est en effet souvent déterminante. Pour qu'un psychiatre puisse orienter une personne vers un programme de soutien à l'emploi, cependant, il faut bien sûr que de tels programmes soient établis! L'accès à de tels programmes demeure très limité au Québec, comme ailleurs.

Quant à la question de Noémie, d'après ce que j'en comprends, les Établissements et Services d'Aide par le Travail (ESAT) qui ont été établis en France sont des milieux de travail protégés, s'apparentant aux entreprises adaptées québécoises. Ce qui en France s'apparente beaucoup plus au soutien à l'emploi, c'est l'approche appelée là-bas, "Intervention sur l'Offre et la Demande", ou IOD. Cette approche a recours a des "référents" qui agissent en tant que représentants de personnes sans emploi (souvent des chômeurs à long terme qui n'ont pas nécessairement de troubles mentaux graves) auprès d'employeurs potentiels. Les approches diffèrent sur plusieurs particularités: par exemple, l'IOD évite complètement le recours au CV (pour éviter que le candidat potentiel ne soit écarté du revers de la main) tandis que le conseiller en emploi d'un programme de soutien à l'emploi y a souvent recours. Une comparaison plus détaillée des deux approches pourrait faire l'objet d'un billet ou article ultérieur.