22-01-2008


Lors d’un séjour d’un an en Angleterre en 2008, Eric Latimer, Ph.D., a rédigé un blogue, un outil de réflexion et de partage sur l’efficience des services de santé mentale en Angleterre, au Canada et ailleurs dans le monde.


Pourquoi s'intéresser au système de santé mentale en Angleterre ? Tout d'abord, on voit ici un effort remarquable d'identifier et d'adopter des pratiques efficaces et efficientes à travers tout le système de santé. Sans entrer dans le détail des organismes subventionnaires et des différents programmes, il se fait beaucoup d'études à répartition aléatoire, beaucoup d'analyses coût-efficacité, et beaucoup de synthèses des connaissances. Cette culture de recherche sur les services de santé et les services sociaux, certainement une des mieux ancrées et plus développées au monde, englobe aussi les services de santé mentale. Cela a eu et continue d'exercer une influence importante sur les politiques de santé mentale.

De plus, depuis le lancement en 1999 du Mental Health National Service Framework for mental health, qui visait l'introduction de plusieurs innovations considérées fondées sur des données probantes, le système vit une transition importante dont certains éléments ont des parallèles à notre propre évolution. Ce sont deux raisons pour nous de prêter une attention particulière aux développements en Angleterre.

Note : Il arrive même aux Britanniques de confondre les termes : Royaume-Uni, Grande-Bretagne et Angleterre. La Grande-Bretagne est la grande île qui inclut l'Écosse au nord, le pays de Galles (Wales) à l'ouest et l'Angleterre. Le Royaume-Uni est le nom du pays lui-même et inclut aussi l'Irlande du Nord. L'Écosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord jouissent chacun d'une certaine autonomie politique et il existe des différences entre le fonctionnement du National Health Service (NHS) dans ces régions en comparaison avec l'Angleterre. Par souci de simplicité, mes commentaires porteront sauf exception sur l'Angleterre en particulier. L'Angleterre dénombre environ 50 millions de personnes, soit près de 85% de la population totale du Royaume-Uni (environ 60 millions).

Survol de l'organisation du système de soins de santé et services sociaux en Angleterre

Tout d'abord, il convient de noter que globalement, malgré une hausse considérable du financement du système de santé anglais depuis l'an 2000, selon les statistiques les plus récentes (OCDE 2007), le Royaume-Uni dépensait en 2005 8,3% de son PIB sur la santé, tandis que le Canada en dépensait 9,8%. En dollars US en 2005, ajustés pour la différence entre les pouvoirs d'achat, cela correspond à 2 724 $ vs 3 326 $ - donc nous dépensons globalement environ 20% de plus.

Autre différence, au Canada en 2005, 70,3% des dépenses de santé étaient financées par le secteur public (un des pourcentages les plus bas parmi les pays industrialisés), tandis qu'au Royaume-Uni, malgré l'existence d'un système de santé privé parallèle, le pourcentage correspondant était estimé à 87,1 – un des plus élevés. (En 2007 environ 12,5% de la population du R.-U. souscrivait à une assurance privée à couverture plus ou moins étendue, en général duplicative parce que presque tous les services de santé, notamment les produits pharmaceutiques et les soins dentaires, sont couverts par le NHS.) Cela signifie que les dépenses publiques par habitant sont comparables entre les deux pays, mais que leur distribution entre types de services et produits, et entre membres de la population, est différente.

Le Department of Health (DH) du Royaume-Uni est responsable à la fois des services de santé, qui sont fournis par le National Health Service (NHS), et des services sociaux, dont la gestion est beaucoup plus décentralisée. Le NHS est également responsable de certains services qui intègrent santé et services sociaux, notamment en santé mentale.

Selon son propre site web, le National Health Service est la plus grosse organisation d'Europe, et le plus gros système de santé au monde. Si on considère de plus la complexité inhérente de la gestion des services de santé, on devine que la gestion du NHS, même dans un pays avec une culture aussi pragmatique que celle-ci, pose de grands défis ! Les réformes se succèdent et suscitent souvent une certaine controverse. Le résultat actuel est un système public organisé de façon assez différente du nôtre.

Depuis 2002, le territoire de l'Angleterre est réparti entre « Strategic health authorities », dont il en existe présentement 10. Chaque SHA gère de nombreux types d'organisation, notamment :

  • Les Primary Care Trusts, ou PCTs. Ceux-ci constituent la pierre angulaire du système actuel. Il en existe environ 150 qui se répartissent entre eux le territoire de l'Angleterre – donc en moyenne, un PCT est responsable d'une population de 300 à 350 mille personnes. Ils gèrent directement les cabinets d'omnipraticiens, les pharmacies dans la communauté, les dentistes inscrits au NHS, et plusieurs autres types de soins de santé primaire. Ce sont par les PCTs que passent les budgets des Acute Care Trusts et des Mental Health Trusts (voir ci-bas), de sorte que les PCTs administrent, plus ou moins directement, 80% des fonds du système de santé. Ainsi, contrairement à la situation au Québec, ils paient en grande partie les médicaments achetés en pharmacie.
     
  • Les Acute Trusts sont, en gros, des hôpitaux ou regroupements d'hôpitaux, lits psychiatriques en moins. Il en existe environ 170. Quelques uns sont des hôpitaux spécialisés : par exemple, le Sheffields Children's NHS Foundation Trust, ou le Clatterbridge Centre for Oncology NHS Foundation Trust. (Les Foundation Trusts sont un nouveau type de Trust, géré de façon beaucoup plus autonome que les Trusts traditionnels, par les gestionnaires de l'établissement, le membre du personnel, et des membres du public. Leur introduction en 2004 reflète le désir du gouvernement de décentraliser la gestion du NHS ; il en existe maintenant plus de 80.)
     
  • Les Mental Health Trusts ont la responsabilité de gérer les services de santé mentale, d'alcoolisme et toxicomanie, et aussi, par exemple, les services aux enfants qui ont des difficultés d'apprentissage. Ils gèrent, entre autres, les Community Mental Health Teams (voir plus bas) et les lits psychiatriques. Il en existe présentement environ 75, ce qui signifie que la majorité de ces trusts doivent transiger avec plusieurs Acute Trusts, et que plusieurs reçoivent leur budget de, et donc doivent négocier avec, plus d'un PCT. Les Mental Health Trusts peuvent également être des Foundation Trusts. Par exemple, le South London and Maudsley NHS Foundation Trust, qui gère, entre autres, l'hôpital psychiatrique Maudsley. Certains Mental Health Trusts, notamment celui-ci, fournissent des services très spécialisés à portée nationale en plus de services standards pour la population locale.

En général (les services de santé mentale constituant, depuis une quinzaine d'années, une exception notable), les services sociaux, tels que ceux pour les personnes âgées, sont organisés par les « local councils ». Le Department of Health fixe les orientations générales, donne un cadre légal, et alloue les budgets aux « local councils », mais ceux-ci fonctionnent avec une autonomie considérable. Ils donnent des contrats à diverses organisations pour que les services voulus soient offerts à des populations ciblées. Ainsi, il existe une division très évidente en Angleterre entre « health care » et « social care ». En santé mentale, cette division s'est amenuisée avec la création des « community mental health teams » il y a une quinzaine d'années, mais elle demeure à bien des égards dans les programmes de formation, les mentalités des professionnels, etc. (Détails)

Les services de santé mentale communautaires

La pierre angulaire du système de santé mentale communautaire spécialisé est le réseau de « Community Mental Health Teams », des équipes multidisciplinaires qui ont chacune la responsabilité d'un territoire dénombrant environ 20 000 à 60 000 personnes. Les CMHT, qui incluent normalement un ou des psychiatres, de même que des infirmières psychiatriques communautaires, des travailleurs sociaux, des psychologues et des ergothérapeutes, faisaient au départ un peu de tout, de la consultation-liaison avec les omnipraticiens au suivi de personnes psychotiques.

Depuis 1999 les services communautaires de santé mentale sont censés inclure des services spécialisés, dans le but de fournir plus de services fondés sur des données probantes. Trois services en particulier sont visés : le suivi intensif (Assertive Outreach), l'intervention de crise (crisis resolution/home treatment), et les services de premiers épisodes psychotiques (early intervention in psychosis). Ceux-ci sont souvent distincts de l'équipe CMHT elle-même. Des cibles ont été fixées, et les dépenses pour ces trois types de services ont environ triplé entre 2001/2 et 2006/7 (augmentation réelle d'environ 500 millions de dollars.)

Pour illustrer le fonctionnement du système (ce qui suit m'a été décrit par une infirmière psychiatrique communautaire expérimentée), un étudiant psychotique se présente au University Medical Centre (une des pratiques de soins de santé primaires à Cantebury). Il est évalué par cette infirmière, qui remplit un formulaire et le réfère à l' « Intake team » du CMHT local. Le Intake team l'évalue de son côté (en utilisant le même formulaire) et pourrait, si le jeune est très instable, le référer à l'équipe de crise (Crisis Team).

Ensuite, le Crisis Team, une fois le patient stabilisé le retourne au Intake Team avec un plan de soins. De là le patient peut passer, par exemple, au Early Intervention Service, ou à la Enhanced Care Team, un programme de suivi intensif. Lorsqu'un service juge qu'un patient est prêt à changer de service (ce pourrait également être pour se faire transférer à une clinique de première ligne) l' « Intake Team » joue systématiquement le rôle de guichet d'accès.

Il en va différemment de l'admission à l'hôpital. Dans ce cas, c'est l'équipe de crise qui joue le rôle de guichet d'accès. Dans le passé, il était nécessaire qu'un médecin admette le patient à l'hôpital, mais ce n'est plus le cas. (Le congé en revanche ne peut être donné que par un médecin.)

Une difficulté qui m'a été rapportée par deux intervenants provenant de deux services différents (dans le Kent et à Londres), qui ne surprendra guère à la lecture de ce qui précède, est que l'augmentation du nombre distinct de services a, dans la pratique, réduit la continuité des services. Les clients peuvent suivre toutes sortes de parcours selon les circonstances.

De plus, à Londres tout au moins, ces services, selon une psychiatre que j'ai rencontrée, sont débordés. Dans les faits, ils ne desservent que les personnes psychotiques très gravement malades, qui présentent un risque pour elles-mêmes ou pour autrui. Une fois stabilisées, de la même façon qu'il est prescrit dans notre Plan d'Action en Santé Mentale, les personnes sont rapidement transférées à des pratiques de première ligne (l'accès auquel est moins problématique qu'au Québec).

D'un côté on voit ici un système conçu pour offrir des services de façon efficiente. (Cela est vrai aussi de la gestion des médicaments - je reviendrai là-dessus dans un billet (le mot recommandé par l'Office de la Langue Française pour traduire "post" dans "blog post") à venir. Mais la perception générale – et cela on le lit dans des blogues de patients, on l'entend dire par des intervenants – est que la qualité des services communautaires que les personnes reçoivent est inégale et souvent laisse beaucoup à désirer. Les délais sont souvent très longs. En 2004 un débat public était organisé sur le thème : « London's mental health services are in a permanent state of crisis. » Le financement, même s'il a augmenté ces dernières années, est perçu comme insuffisant et la santé mentale est décrite, ici comme au Québec, comme un parent pauvre de la santé.