Lettre d'opinion d'Anne Crocker, Ph.D.

05-07-2011


Être déclaré non responsable pour cause de troubles mentaux (NCRTM) ne veut pas dire se soustraire à la justice! Et avoir une maladie mentale ne renvoit pas automatiquement à un verdict de non-responsabilité criminelle.

En vertu du principe voulant qu’il soit inapproprié de « punir » des individus qui n’avaient pas d’intention criminelle au moment du délit, la défense de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux représente un mécanisme reconnu pour certains contrevenants vivant avec un trouble mental.

Plusieurs connaissent cette disposition par son ancienne appellation : acquittement pour cause d’aliénation mentale. Cette appellation porte à confusion et ne correspond pas à la réalité. Elle perpétue le mythe selon lequel une maladie mentale permet d’échapper à la justice.

En réalité, une personne déclarée non responsable pour cause de troubles mentaux n’est pas libérée et retournée chez elle; elle est presque systématiquement détenue dans une institution de santé mentale.

Les personnes ayant un problème de santé mentale risquent d’être détenues plus longtemps que d’autres prévenus

Dans les faits, les personnes ayant un problème de santé mentale risquent d’être détenues plus longtemps tout au long des procédures judiciaires en comparaison avec des individus qui font face à la justice mais qui n’ont pas de maladie mentale.

Il est faux de croire que les personnes reconnues non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux «s’en sauvent»! Les résultats préliminaires d’une étude que nous menons actuellement auprès de personnes jugées non responsables pour cause de troubles mentaux au Québec semblent confirmer les observations de plusieurs intervenants des milieux de la santé mentale et de la justice: ces personnes sont détenues plus longtemps en milieu hospitalier que si elles avaient été trouvées coupables et avaient été condamnés à la prison pour le même délit. Elles sont toutefois orientées vers des centres de soins en santé mentale plus adaptés à leurs besoins et à leur rétablissement.

Violence et maladie mentale : revoir les perceptions

Le lien entre les problèmes de santé mentale et certains comportements violents est influencé par une foule de facteurs tels que la toxicomanie, les conditions de vie précaires, la victimisation antérieure et parfois certains symptômes de la maladie mentale elle-même. La très grande majorité (90%) des personnes atteintes de maladie mentale n’est pas violente. Au Canada, les individus souffrant de maladie mentale seraient responsables de moins de 3% de la violence dans notre société. Cependant, la personne vivant avec un problème de santé mentale est 15 fois plus susceptible d’être victime que d’être l’auteure de violence.

Le drame des familles

Les familles sont les victimes les plus fréquentes. Les actes de violence portent rarement sur des inconnus, mais se produisent plutôt au domicile des auteurs de l’acte, souvent sur des proches. Ces familles, les proches et les amis se retrouvent donc face à une détresse importante, à des situations déchirantes où s’affrontent le désir d’aider et de soutenir la personne ayant un problème de santé mentale tout en assurant leur propre sécurité lorsqu’une situation se dégrade, et ce, avec peu de soutien et de services.

On fait de plus en plus de pression sur les secteurs de la santé mentale et de la sécurité publique pour qu’ils identifient les personnes les plus à risque dans une population très hétérogène où de multiples facteurs interagissent. C’est pourquoi chercheurs et cliniciens développent et mettent en œuvre de meilleurs outils de dépistage, d’évaluation et de gestion des risques. Mais ces développements se font parfois dans des conditions difficiles; dans un contexte où la santé mentale demeure le parent pauvre de la santé, surtout en termes de ressources financières.

Malgré les efforts déployés, depuis plusieurs années, pour expliquer les maladies mentales, réduire les tabous qui entourent la maladie et les personnes qui en souffrent, (par des témoignages ou des explications sur les progrès en matière de recherche ou de soins) force est de constater que nous sommes souvent exposés, par l’actualité médiatique, à des drames où la maladie mentale de la personne qui a commis un délit est soulignée avec insistance.

Cette attitude nourrit, de façon disproportionnée avec la réalité, la crainte du « potentiel violent » des personnes vivant, par exemple, avec la schizophrénie. Cela a aussi malheureusement pour effet de perpétuer une stigmatisation qui nuit à l’intégration sociale, communautaire, vocationnelle et éducative des personnes et augmente leur marginalisation et leur isolement. La méconnaissance des faits entraîne trop souvent la peur et le rejet, ce qui mine sérieusement les efforts orientés vers l’intervention, la prévention et même, le rétablissement.

Anne Crocker, Ph.D.
Directrice, Services, politiques et santé des populations
Centre de recherche, Institut universitaire en santé mentale Douglas.
Professeure agrégée, dép. de psychiatrie de l’Université McGill

Commentaires

« Au nom de la Fondation des maladies mentales, j’aimerais assurer à Madame Crocker et à l’institut Douglas tout notre soutien et notre reconnaissance quant à cette prise de position.» -Jean-Luc Taschereau, président, Fondation des maladies mentales